Ce pays lointain, à l'ombre des colosses

Publié le par Wintermute

J'ai beaucoup joué au lycée. Le temps passé sur console a été drastiquement réduit lors de mon passage en fac, concours oblige. Si le concours est désormais derrière moi, j'ai néanmoins gardé cette "habitude" ne plus jouer sur console que de temps à autre, par périodes, me contentant de refaire les jeux que j'ai appréciés, d'en finir d'autres, voire d'en commencer quelques uns (j'ai du stock et il m'arrive parfois d'en acheter un nouveau).

 

Aujourd'hui, séquence nostalgie. Je joue moins, c'est un fait, mais la passion n'a pas totalement disparu. Car j'étais passionné (et le suis toujours donc!), avec l'ambiance des jeux pour obsession.

C'est marrant l'ambiance, parce que ce n'est pas une caractéristique que l'on puisse parfaitement isoler, tels les graphismes, la musique, le scénario, le gameplay etc... On en parle rarement, préférant se limiter aux points que je viens de citer, alors que c'est, à mon sens, bien plus important. En même temps, elle dépend de beaucoup de choses, dont le ressenti du joueur, étant, si l'on devait la caractériser, une curieuse alchimie entre ces diverses caractéristiques d'un jeu.

 

Par exemple, quand on parle de graphismes, je trouve triste de mettre dans ce même sac le travail purement technique (à savoir la définition, la manière dont sont agencés les pixels), et le travail plus artistique englobant les idées, les formes, les couleurs. Quand le graphisme participe à l'ambiance d'un jeu (ou d'un passage), ce n'est pas forcément par la qualité des graphismes. 

Exemple, Final Fantasy VII : la carte est moche. Pourtant, l'approche du Cosmo Canyon me prend toujours autant aux tripes, avec ses tons rougeoyant, son soleil couchant.

 

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Je m'égare mais tant pis, continuons dans cette voie avec la musique. La musique peut sembler à première vue être l'élément principal pour créer une ambiance. Comme vecteur de sensations, voire d'émotions, la musique me semble bien plus efficace que l'image.

Et pourtant, encore une fois, seule, elle ne fait rien.

Ecouter un bon morceau d'OST sans avoir jamais touché au jeu dont il est tiré ne permet pas, selon moi, de retrouver l'ambiance du jeu le temps de ces quelques notes. On peut ressentir éventuellement de la tristesse, de l'entrain en fonction de ce que le morceau est censé véhiculer, mais cela dépend également de notre état d'esprit.

Comme l'écrivait Baudelaire dans son poème "La musique" (qui est sans doute le seul m'ayant marqué durant ma scolarité...), la musique ne fait elle pas que refléter nos propres sentiments au moment de son écoute?

Enfin, la présence de musique n'est absolument pas indispensable au développement d'une atmosphère particulière dans un jeu. Mais j'y reviendrai plus bas, car l'objectif initial de l'article était de parler de ma plus grosse claque vidéoludique, à savoir Shadow of the Colossus. Et je suis intarissable à son sujet.

 

Dernier pendant de l'ambiance d'un jeu, le scénario. Idem, si cela paraît évident, je ne pense pas que ce soit si simple. Un bon scénario posera de bonnes bases en ce sens, comme le prouvent bon nombre de Final Fantasy.

Mais si je chipotais, je dirais que plus que l'histoire même, c'est la toile de fond qui joue, le background. Car nul besoin d'un scénario tortueux aux multiples rebondissements pour vivre une belle aventure, c'est surtout l'univers qui compte.

Nous allons voir ça de suite!

 

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Shadow of the Colossus reste à ce jour le jeu m'ayant le plus marqué, du fait de son atmosphère unique.

 

SotC, c'est l'histoire de Wanda, un jeune homme qui se rend sur des terres interdites et oubliées, vestiges d'un temps plus ancien, avec son cheval Agro et le cadavre de sa bien aimée.

Car il semblerait que celui que l'on nomme Dormin et qui réside dans ce pays lointain puisse ressuciter la jeune femme.

Et effectivement, ce Dormin existe bien. Pour récupérer l'âme de la jeune femme, Wanda devra détruire seize idoles, dont on ne peut venir à bout qu'en abattant les colosses qu'elles représentent.

Mais le prix a payer peut être lourd...

Nous sommes donc bien loin du scénario FFesque, où guerres, illusions et voyages temporels s'entrecroisent dans un joyeux bazar plein de suspens. Le synopsys de SotC n'est guère plus complexe que celui d'un Mario : Peach n'est elle pas une jeune femme après tout?

 

Niveau graphismes, c'est pareil. C'est très lisible, très beau. Mais pas de scène cinématique à vous arracher un oeil, tout est fait avec le moteur du jeu, du début à la fin. SotC n'a rien du blockbuster vidéoludique.

Enfin, la progression. Galoper à travers des lieux complètement vides à la recherche de ces colosses, puis les affronter. Les combats n'ont d'ailleurs rien de bourrin : escalader ces bestioles demandant surtout de la réflexion et un peu d'adresse, ils ne combleront pas l'écraseur de boutons frénétique à la recherche d'action pure testostéronée.

J'oubliais :  la musique n'est présente que lorsque Wanda se mesure aux colosses. Les chevauchées se font dans un silence quasi total, où seul le vent et le bruit des sabots se font entendre.

 

Après ce piètre portrait qui ne lui rend pas du tout hommage, laissez moi vous montrer ou vous rappeler en quoi ce jeu a bien plus de valeur que bon nombre de productions artistico-industrielles (le cinéma, tout ça...).

Si j'ai présenté le jeu en séparant chacune des caractéristiques qui le font (graphismes, musique, scénario, déroulement...), c'est pour appuyer mes théories plus ou moins fumeuses sur l'ambiance d'un jeu vidéo.

 

Car SotC est un grand jeu par son ambiance, par les émotions qu'il transmet au joueur, par la manière dont il l'implique dans son histoire pourtant si simple. Et les émotions, l'atmosphère d'un jeu ne sont pas des choses que l'on peut évaluer.

 

 

Ce pays lointain, où sont éparpillés les colosses, est immense mais désespérément vide. Pourtant, on ne s'ennuie pas une seule seconde. Des paysages différents se succèdent les uns aux autres, tels des peintures que l'on se plaît à visiter, s'arrêtant pour mieux les contempler. Plaines, déserts, forêts, ruines, tout n'est qu'émerveillement malgré le silence pesant et la solitude.

Je me rappelle un bosquet où le soleil filtrait à travers la frondaison des arbres, les feuilles volaient sous les pas du cheval, et quelque part, une cascade se faisait entendre. Je trouve d'ailleurs amusant d'en parler comme du souvenir réel d'un voyage passé : une preuve de l'expérience que SotC propose?

Les heures passées à voyager avec Agro font que l'on s'attache à l'animal, qui, compagnon du héros, devient aussi celui du joueur. Petit à petit, sans s'en rendre compte, on s'implique de plus en plus dans la quête de Wanda, pour ne faire qu'un avec lui, rendant la fin du jeu plus intense encore (je suis resté hébété quelques minutes... quand je parle de claque vidéoludique, c'est un peu l'effet que ça fait, la douleur physique en moins).

 

 

shadow-of-the-colossus-Screenshot-001

 

 

Les rencontres avec les colosses sont homériques. Si pour en venir à bout, il s'agit à chaque fois de les escalader pour atteindre leur point faible, le moyen d'y parvenir diffère pour chacun. Certains volent, d'autres nagent, d'autres ne pourront être vaincus sans le soutien d'Agro, mais pour la majorité, il faudra y aller seul, à pieds.

Là où SotC fait très fort, c'est qu'il ne nous présente pas les colosses comme de véritables ennemis. Pas d'histoire de vengeance ici, pas de combat manichéen du bien contre le mal. Si Wanda part les trucider, c'est pour ressuciter la femme qu'il aime. Seize vies contre une, est-ce bien raisonnable?

Car les colosses sont vivants. Ce ne sont pas de bêtes statues animées dépourvues de sentiments. Ils se débattent, souffrent, veulent survivre. Derrière le regard froid, on perçoit une conscience.

Le colosse, à première vue inabordable, malgré sa force, est une victime. A quoi bon être capable de faire trembler la terre si l'on n'arrive pas à mettre la main sur un adversaire insaisissable?

De mes combats, je me souviendrai surtout d'un Wanda froid, méthodique, tenace. Des deux adversaires, le monstre n'est pas celui que l'on croit.

Puis vient la mort du colosse, sa chute, et la victoire de Wanda. Mais à quel prix? La fureur qui nous animait nous a quitté, faisant place au soulagement mais aussi aux regrets.

Il n'empêche que nous continuerons pour cette jeune femme sur l'autel, seule raison de cette quête insensée.

L'enfer est pavé de bonnes intentions.

 

Après quinze colosses, la fin se précise. Un dernier géant nous sépare de l'impossible. Et de ce qui est sans aucun doute une des plus belles fins du jeu vidéo.

 

Shadow of the Colossus est un jeu tout en subtilités. Son univers, mystérieux, suggère de nombreuses questions, au joueur de se les poser, et de tenter d'y trouver une réponse.

Un délice, à une époque où tout se doit d'être expliqué pour nous épargner tout effort mental.

 

Peu après l'avoir fini (peu après sa sortie et peu avant que je passe mon bac, en 2007), j'avais écrit un gros article sur ce jeu (une époque lointaine où j'en pondais pour un site de jeux vidéo amateur). Je voulais le publier sur ce blog, puis l'ayant relu, j'ai réalisé qu'il était à reprendre et corriger avant.

Il est bien plus complet que ce petit aperçu (8 pages word), plein d'analyses, de tentatives de réponses à des questions que je m'étais posées (et il y en a un tas!), et donc plein de gros spoilers. Si j'en ai le courage, je m'y attaquerai.

 

Fin de la séquence nostalgie, je remarque qu'une fois de plus, ça part un peu dans tous les sens quand j'écris, mais tant pis.
Et ci-dessous, le dernier morceau de SotC, qui en plus, possède une excellente OST (avec de vrais instruments!).

 

 

Publié dans Jeux vidéo

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