Millenium Actress

Publié le par Wintermute

Je l'ai abordé trop succintement dans mon premier article. Une erreur à rattraper.

 

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Millenium Actress est un très beau film d'animation de Satoshi Kon.

 

De nos jours, deux hommes, des journalistes, sont conviés chez une femme agée, afin de l'interviewer. Cette dernière, Chiyoko Fujiwara était une des plus grandes actrices de son époque. Elle vit aujourd'hui dans une petite maison perdue dans les bois, avec pour seule compagnie sa domestique.

La rencontre avec les deux journalistes, dont l'un, Genya Tachibana, s'avère être un véritable fan, sera l'ocasion de découvrir le parcours de cette femme.

 

Née lors du grand séisme de Kantô en 1923, rien ne destine Chiyoko à devenir actrice. Repérée dans la rue par un producteur dans les années 1930 pour participer à un film en Mandchourie, et devant l'avis défavorable de sa mère à la voir embrasser une carrière d'actrice, elle se résigne même à ne pas pouvoir saisir cette chance.

Jusqu'à ce qu'un homme la bouscule dans la rue. Ce dernier , alors qu'il est poursuivi par des policiers (ou peut-être des espions) du gouvernement japonais, s'arrête pour s'excuser et l'aide à se relever, avant de devoir la quitter précipitemment. Chiyoko couvrira sa fuite en mentant à ses poursuivant, et aidera le fuyard blessé. Ils passeront la nuit à discuter dans la réserve familial. L'homme, un opposant au régime, lui confie alors une clef, qui aura une valeur sentimentale très importante pour l'héroïne, tout au long du film.

Puis il disparaît rejoindre ses camarades en Mandchourie.

 

Cette nouvelle pousse Chiyoko à revenir sur sa décision : elle accepte finalement de partir tourner son film en Chine, car ce voyage est pour elle une opportunité de poursuivre l'homme dont elle est tombée amoureuse.

Mais cette course s'avèrera bien plus longue qu'elle ne le pensait...

 

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Millenium Actress est un film dense. Il nous propose de suivre durant environ 1h30, trois histoires, que Satoshi Kon a réussi a superposé admirablement.

La première est celle de Chiyoko, de sa carrière au cinéma, de sa recherche perpétuelle de cet inconnu qui lui avait promis qu'ils se reverraient, et lui avait confié sa clef en attendant.

La deuxième est un aperçu du cinéma japonais, à travers les films où Chiyoko a tenu un rôle.

La troisième est l'histoire du Japon du vingtième siècle, ou tout du moins d'une bonne grosse moitié.

 

Ces trois histoires vont se mêler tout au long du film. Les rôles que Chiyoko joue font écho à sa propre vie, tandis qu'en toile de fond, l'histoire du pays reste omniprésente.

 

Il est certain qu'en 1h30, tout ne peut pas être vu. Mais pour quelqu'un qui n'a qu'une vague idée de l'histoire japonaise, ce film donne l'occasion (et pousse même, surtout quand on décide de lui consacrer quelques lignes) à se renseigner à ce sujet. Le séisme de 1923, l'invasion de la Mandchourie par le Japon suite à un attentat construit de toutes pièces, la radicalisation du pouvoir avant la seconde guerre mondiale, le pays ravagé par les bombes des alliées, sa reconstruction, sont autant de faits marquants de son histoire.

 

Majoritairement, l'histoire de Chiyoko se découvre au fil de sa filmographie. Elle y apparaît à l'âge qu'elle avait lorsqu'ils furent tournés, jouant ses propre rôle. Très vite, Genya Tachibana, qui l'admire, passe du simple rôle de journaliste à celui d'acteur également, et donc de personnage, toujours là pour secourir les personnages de Chiyoko, et par là, Chiyoko elle-même. Son caméraman, complètement perdu au milieu de toute cette fantaisie, finira par l'accepter pour se laisser prendre au jeu : il est selon moi, un bon alter ego du spectateur dans ce joyeux mélange!

 

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!! ATTENTION, SPOILERS !!

(A ne lire que si vous avez vu le film...)

 

 

Millenium Actress est surtout une triple histoire d'amour.

Celui éprouvé par Chiyoko envers cet artiste inconnu.

Celui d'un fan, Genya, pour son idôle.

Celui du réalisateur pour le cinéma.

 

Ce n'est pas le genre de choses que j'aime écrire, par peur de tomber dans des clichés et lieux communs, mais tant pis (parce que j'assume totalement mon côté fleur bleue).

 

Chiyoko, lorsqu'elle rencontre l'opposant au régime, tombe sous son charme instantanément. C'est d'ailleurs cette renconter qui orientera totalement sa vie, puisqu'elle fera tout pour le retrouver. Les scènes les plus fortes du film sont d'ailleurs celles où elle court après lui, au début en tentant de rattraper son train, à la fin en se rendant là où il lui avait promis qu'ils contempleraient des plaines enneigées ensemble, une fois la guerre achevée.

La clef symbolise à merveille cet amour. L'objet joue ainsi le rôle qu'est sa fonction première.

(Je ne sais pas si c'est clair, mais c'était pour éviter de dire que "la clef est la clef de cet amour"... Bon, l'effet est foiré maintenant que j'en donne les ficelles élimées entre ces parenthèses).

D'ailleurs, la disparition de sa clef lors d'un tournage la mènera à renoncer momentanément à l'homme qu'elle ne retrouve pas. En la récupérant, ses sentiments refont surface, la clef jouant également un rôle de barrière lui rappelant la promesse faite, la menant à éconduire son futur époux tout d'abord, puis à s'en séparer.

Une clef qui est également celle de ses souvenirs, rouvrant la porte sur son passé, lorsque Genya la lui rend avant l'interview.

 

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Genya est un fan, un vrai. On le réalise progressivement. Le fait qu'il se jette corps et âme dans les flots du récits de Chiyoko nous met la puce à l'oreille. Puis certaines de ses paroles, et ses rencontres avec Chiyoko sur les plateaux de cinéma où il travaillait plus jeune finissent de nous en convaincre. Il est celui qui la sauve : samouraï prêt à se sacrifier dans les films, mystérieux rônin sur les traces de sa princesse, simple admirateur lorsqu'il protège par deux fois l'actrice durant des tremblements de terre. Il connaît ses films par coeur, et même toutes les ficelles de la vie de Chiyoko, une fois l'interview achevée : il ne lui en manquait que la clef...

 

 

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Il y a celle de Satoshi Kon pour le cinéma japonais. La construction du film est assez claire à ce sujet, avec ses références à de nombreux films (que je ne connais pas, mais ayant vu quelques Kurosawa se déroulant dans un Japon féodal, je ne pense pas trop me planter en écrivant ceci... il faudra que j'en regarde d'autres pour la peine!).

La majorité du film se passe dans des films, je l'ai déjà dit. Un hommage au cinéma d'une autre époque, à ces acteurs et actrices célèbres d'un autre temps. Et surtout, un grand merci à ce qu'il nous apporte. Telle Chiyoko qui vit pleinement ses rôles, puisant dans sa propre expérience pour les jouer, qui ne s'est jamais identifié à un personnage de film, même le temps d'une unique et courte scène?

 

D'ailleurs, Kon nous éblouit une fois encore par son talent de la mise en scène. Déjà, réussir à rendre tout ce mélange digeste et compréhensible est une prouesse. Ensuite, il y a des scènes particulièrement bien pensées.

L'ouverture par exemple : Genya regarde un film où Chiyoko, dans une fusée, s'apprête à quitter la lune. Un tremblement de terre survient alors, Genya met son magnétoscope en pause, puis rembobine la cassette avant de quitter la pièce. Sur l'écran s'affiche en sens inverse et en accéléré, non pas le film de science-fiction, mais l'ensemble de Millenium Actress (ou tout du moins un bon aperçu).

Restons en avec cette fusée voulez-vous. Lorsque Chiyoko, durant sa rencontre avec les journalistes, se remémore le jour où cette scène fut tournée en studio, un tremblement de terre était survenu également.

Au delà du fait qu'un séisme se produise à chaque étape importante de sa vie (comme elle le dit elle même au début du film), je trouve personnellement très bien pensé d'y avoir eu droit en début de film (ce n'était asolument pas indispensable au scénario).

Et encore la fusée, pour ce final éblouissant. Kon superpose la mort de Chiyoko, son départ pour une autre vie, avec le décollage de la navette. Et Genya, lui encore, est présent dans cette scène finale, mais aussi à l'hôpital, à ses côtés.

Le film s'achève comme il avait commencé, dans une station spatiale.

 

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Et puis j'aimerais finir avec le drame. Car si l'on s'en doute, la révélation concernant le destin du jeune homme est un violent coup de massue. A quinze minutes de la fin, nous ne sommes toujours pas fixé... Drame, happy end?

Car le film oscille constamment entre tristesse, espoir et joie. La dure réalité du monde, avec ses guerres, la folie des hommes, la joie que les films peuvent apporter, celle de Chiyoko lorsqu'elle revoir plusieurs fois l'artiste engagé, son espoir aussi, de le retrouver définitivement un jour.

Satoshi Kon fait le choix (cruel) du réalisme, lui qui nous a si bien embarqué dans son traitement de l'histoire à mi-chemin entre réalité et fiction. Histoire réaliste et plausible, qui comme dans ses autres films, se déroule à différents niveaux (je pense à Perfect Blue et sa chanteuse sombrant dans la paranoïa, à Paprika où réalité et rêves se confondent).

Mais de ce choix, l'histoire n'en paraît que plus vraie, et n'en est que plus émouvante (voire plus belle encore?).

 

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Publié dans Japanimation

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